Avis d'experts : la lutte contre la fraude à l'assurance à l'ère de l'IA, une approche hybride et collaborative

Dans un contexte où la fraude à l'assurance se complexifie et s'intensifie, les assureurs doivent constamment innover pour protéger leurs intérêts et ceux de leurs clients honnêtes. L'intelligence artificielle (IA) s'impose comme un allié de choix dans cette lutte, mais son utilisation efficace nécessite une approche nuancée et multidimensionnelle.


I. Une approche hybride pour un faisceau de preuves solide
La lutte contre la fraude à l'assurance ne peut se résumer à une approche monolithique. Elle requiert la mise en place de solutions hybrides, combinant plusieurs méthodes d'investigation pour constituer un faisceau de preuves robuste. Cette approche s'inspire des méthodes d'enquête traditionnelles, comme celles utilisées par la gendarmerie nationale qui exige au moins deux anomalies pour qualifier une fraude.

  1. L'analyse du support : détecter les falsifications : la première ligne de défense consiste à examiner minutieusement les documents fournis. Un sondage récent révèle qu'une personne sur quatre a déjà falsifié un document exigé par sa banque, soulignant l'ampleur du problème. Les techniques d'analyse incluent :
  • L'étude de la compression des images ;
  • L'analyse des métadonnées techniques du document ;
  • L'examen des différentes couches d'un fichier PDF.

Il est important de rappeler que la falsification de documents est un délit grave, passible de 3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende pour un document privé, et de 5 ans et 75 000 € pour un document administratif.

   2. L'analyse des données : au-delà du document : la fraude peut être plus subtile, impliquant des documents authentiques mais contenant des informations fausses ou trompeuses. Cette approche nécessite :

  • L'extraction exhaustive des données des documents ;
  • La vérification des données quantifiables (sommes, calculs de TVA) ;
  • Le croisement avec des bases de données externes (adresses, entreprises) ;
  • L'analyse des comportements anormaux par rapport à des profils types.

Dans certains cas, l'analyse humaine reste indispensable pour déceler des anomalies que les algorithmes pourraient manquer (voir notre article Comment lutter efficacement contre la fraude documentaire)


3. L'IA générative et le Reinforcement Learning : anticiper l'évolution de la fraude
Face à l'augmentation du nombre de cas de fraude et à la complexification des procédés frauduleux, l'IA générative et le Reinforcement Learning offrent des perspectives prometteuses :

  • Traitement de volumes de données toujours plus importants ;
  • Adaptation rapide à l'évolution des schémas de fraude ;
  • Détection des réseaux de fraude et des fraudeurs professionnels.

 

II. Une collaboration interdisciplinaire essentielle
La mise en place d'un système efficace de lutte contre la fraude basée sur l'IA nécessite une collaboration étroite entre différents experts au sein de l'entreprise :

  • Les data scientists, qui maîtrisent les technologies d'IA ;
  • Les opérationnels, qui connaissent les réalités du terrain ;
  • Les équipes IT, capables d'intégrer les solutions à l'échelle industrielle.

Cette synergie est particulièrement cruciale face à l'IA générative. Elle permet non seulement d'étudier les documents, mais aussi d'analyser le comportement global de l'assuré, comme son parcours de soins.
Il est également important de ne pas négliger l'intuition des gestionnaires : une machine pourrait passer à côté d'un dossier "trop parfait" qui éveillerait les soupçons d'un professionnel expérimenté.
Cette approche collaborative doit également inclure les équipes chargées de la conformité, de la sécurité et de la réglementation, soulignant la nécessité d'un pilotage stratégique au plus haut niveau de l'organisation.


III. Trouver l'équilibre entre lutte contre la fraude et expérience client
Si la lutte contre la fraude est indispensable, elle ne doit pas se faire au détriment de la relation client et du développement commercial. Deux axes majeurs permettent de maintenir cet équilibre délicat :

  1. Réduire les faux positifs : affiner les algorithmes pour minimiser les erreurs de détection qui pourraient froisser des clients honnêtes ;
  2. Communiquer avec transparence : informer clairement les clients sur les politiques anti-fraude et expliquer, le cas échéant, les raisons des vérifications supplémentaires.

Il est crucial de rappeler que la lutte contre la fraude protège aussi les clients honnêtes, souvent victimes d'usurpation d'identité ou de tentatives de phishing.


IV. Vers une sécurité renforcée grâce aux nouvelles technologies
L'émergence de solutions d'identité numérique et de portefeuilles électroniques (e-wallets) offre de nouvelles perspectives pour sécuriser les échanges en ligne. Ces technologies permettent l'échange de données certifiées par des tiers de confiance, renforçant ainsi la sûreté des transactions.
La mise en place de telles solutions permet d'isoler plus facilement les clients honnêtes, les fraudeurs étant moins enclins à utiliser ces canaux sécurisés.


Conclusion
La lutte contre la fraude à l'assurance à l'ère de l'IA nécessite une approche holistique, combinant technologies avancées, expertise humaine et collaboration interdisciplinaire. En trouvant le juste équilibre entre la rigueur des contrôles et la fluidité de l'expérience client, les assureurs peuvent non seulement protéger leurs intérêts, mais aussi renforcer la confiance de leurs clients honnêtes. L'avenir de cette lutte repose sur l'innovation continue et l'adaptation aux évolutions rapides des techniques de fraude.

 

Par Etienne Vazzoleretto